Alphabétisation et...

Publié le par Nadine Lanneau

Deux manières d'apprendre à lire, deux rapports à l'écrit

"Une première caractéristique porte sur la quasi absence d'analyse politique de l'événement. Certes, il a été indiqué que l'interdiction de la méthode globale était aussi au programme du FN mais personne ne pense sérieusement que son rétablissement figurera l'an prochain dans le programme électoral de l'opposition. Il suffit d'observer que les derniers ministres de "la gauche" avaient, depuis la rue de Grenelle, rappelé sa nocivité et s'étaient réjouis de sa désuétude. Même si le mot n'a pas exactement le même sens pour tous ceux qui y ont recours, il faut se demander pourquoi l'extrême droite, puis la droite (laissons reposer pour le moment la gauche !) s'inquiètent à ce point de la "globale", oui plutôt de son spectre. Est-ce au nom de leur notoire attachement à la réussite scolaire de tous les enfants pauvres ? Est-ce leur haute idée de la démocratie qui leur fait redouter que les fils de prolétaires ne sachent plus assez lire entre les lignes ? Est-ce les groupes patronaux qui les soutiennent qui se sont plaints de devoir délocaliser leurs entreprises en Asie ou à Madagascar parce que décidément les travailleurs français sont devenus en quelques années de trop mauvais lecteurs ?


Laissons les spéculations aux spéculateurs et rappelons plutôt ce qui nous apparaît comme un objet de réflexion et de recherche incontournable pour un enseignant/chercheur : au moment où la 3° République décide de prendre en main l'alphabétisation des "enfants du peuple", "ceux de la bourgeoisie", dans les établissements privés que sont alors les petites classes des lycées, rencontrent le fonctionnement de l'écrit directement en étant accompagnés dans leur lecture de grands textes et les inspecteurs généraux ne cessent d'alerter sur les dangers qu'il y aurait à partir pour de enfants trop jeunes de choses trop simples ; de la même manière, les ouvriers parisiens, d'avant la Commune, ont majoritairement appris à lire (sur) des textes politiques liés à leurs luttes en se faisant aider "sur le tas" par leurs pairs plus avancés. Dans ces deux cas socialement opposés, on trouve le même principe : l'outil de la communication écrite se construit directement dans l'usage de l'écrit et la qualité de cet outil est fonction de la richesse de l'usage par lequel il se rencontre." Jean Foucambert Actes de lecture N° 94 juin 2006 (citations avec l'accord de l'auteur).

Analyse que nous retrouvons également chez Philippe Perrenoud :

Lui aussi décrit deux sytèmes étanches et qui coexistent pour scolariser tous les enfants en fonction de leur origine sociale
"les enfants de la bourgeoisie entraient dans les petites classes des lycées, pour suivre, souvent en latin, une scolarité " primaire " qui débouchait presque immanquablement sur des études longues ; au même âge, les autres enfants, issus des classes populaires et des classes moyennes traditionnelles, étaient inscrits dans une école élémentaire, dont ils sortaient dans le meilleur des cas à 12-13 ans, avec un bagage limité : s'ils savaient lire, écrire et compter, ils pouvaient s'estimer heureux. »
Perrenoud, Philippe. De qui la « culture générale est-elle la culture ? » 2002

Publié dans complexite

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